Ultraboule

La douce morsure du soleil portugais

--> Comment corrompre une âme pure

Lorsque j'étais enfant, mes parents m'emmenaient tous les étés passer quelques semaines au camping Wondertur Praia Grande près de Lisbonne. Il n'a pas voyagé celui qui n'est jamais allé au camping Wondertur Praia Grande près de Lisbonne.

Tous les étés, j'attendais avec impatience le jour du départ, le choc des valises dans le coffre de l'aérocar, le bruit du moteur sollicité par la clé de contact, le déclic du capot qui s'ouvre, les borborygmes de papa qui fourrage dans le moteur en pestant contre cette saleté de bougie qui est encore coincée, les heures merveilleuses à transpirer dans les bouchons de l'autoroute, en attendant de voir enfin le portail du camping Wondertur Praia Grande s'ouvrir devant le klaxon enroué de la voiture.

Quelle joie de déballer la tente, de se rendre compte que les piquets sont pliés (ben oui, on se l'était déjà dit l'année dernière), que la table pliante est branlante (ben oui, papa est tombé dessus un jour qu'il avait un peu forcé sur la Kro), que l'un des sacs de vêtements est resté sur la table de la cuisine à la maison (ben oui, il n'y avait plus de place dans le coffre de l'aérocar). Quelle joie surtout d'aller retrouver en courant le fils du gérant du camping. Manolo avait mon âge, et nous étions inséparables durant toute la durée des vacances.

Lorsque nous avions une dizaine d'années, nous passions nos journées à courir entre les tentes et à pêcher des crabes dans une crique "secrète" que connaissait Manolo. Nous ne nous ennuyons jamais, jamais un autre enfant ne serait venu semer la zizanie dans notre saine camaraderie.

Lorsque nous avons atteint l'adolescence, les étés chez Manolo ont été les plus enrichissants de mon existence. Ensemble nous allions feuilleter des magazines dans sa chambre, regarder dans les douches grâce aux bouches d'aération modifiées par Manolo (et il avait bien fait ça: aucun homme ne nous a jamais vu le regarder). Nous retournions dans cette jolie crique où il m'avait montré comment pêcher le crabe, et où il m'initia aux secrets des adultes (je n'ai jamais su comment il avait appris autant de choses sur la vie). Comme cet été où j'avais mis mon maillot dans le sac qui était resté sur la table de la cuisine, et où Manolo, par solidarité, se baigna nu lui aussi, jouant à nous poursuivre et à nous attraper dans l'eau.

Malheureusement, vers l'âge de trente ans, Manolo a poursuivi son rêve: devenir cheerleader dans le monde du sport de haut niveau. L'amour du sport et de la gymnastique sans doute. Les vacances avec mes parents parurent tout de suite plus mornes. Et c'est là que Manolo fut rattrapé par la corruption et la luxure, imposées à lui par des managers sans vergogne, avides de lui soutirer ses meilleures prestations physiques et ses connaissances sur les secrets de la vie, avides d'obtenir de lui ce que personne n'a pu obtenir réellement, et que je n'aurai plus jamais désormais.

Vendu à prix d'or par une franchise africaine à une franchise sud-américaine médiocre et qui bat de l'aile, mais dont le coach utilise Manolo comme faire valoir, camouflant ainsi son incompétence tactique derrière le show brillant de mon ami de toujours, Manolo continue de convaincre par ses exhibitions spectaculaires. Il serait temps qu'une vraie équipe lui donne une vraie chance de s'exprimer vraiment. Il serait temps que Manolo soit reconnu pour son vrai talent humain. Il serait temps que je porte mes chemises au pressing. Il serait temps que nous prenions un peu le temps de penser de temps en temps au temps qui s'écoule tout le temps. Je dis "Manolo sur la liste des transfert et racheté par Hourloup'Revenger", une vraie équipe, qui ne feint pas la victoire.

Manolo, je t'ai vu à la télévision ce week-end, si tu me lis, reviens, on va vivre la main dans la main, l'aventure avec toi c'est si bien, amoureux, malheureux, ça ne fait rien, c'est si bien, je crie "Reviens".

Manolo...

Votre dévoué,
Raymond Tachmol

Ecrit par Raymond Tachmol, le Mercredi 25 Février 2004, 16:14 dans la rubrique "Nouvelles neuves".

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